
Dans un monde où l'intelligence artificielle (IA) redéfinit chaque aspect de nos vies, de la santé à la justice, elle s'invite désormais dans un domaine que l'on pensait réservé à l'humain : la spiritualité. Des dizaines de millions de personnes se tournent aujourd'hui vers des applications religieuses basées sur l'IA, capables de simuler des conversations avec des membres du clergé, voire avec Dieu lui-même. Cet avènement des "aumôniers IA" soulève des questions fascinantes et complexes sur l'avenir de la foi à l'ère numérique.
Résumé audiovisuel de l'article 👆🏽👆🏽
Pourquoi un tel engouement ? L'attrait de l'instant et du privé
Ces applications, telles que Bible Chat, qui compte plus de 30 millions de téléchargements, ou Hallow, qui fut un temps l'application la plus téléchargée d'Apple, connaissent un succès fulgurant. Mais qu'est-ce qui explique cette popularité massive ?
Plusieurs raisons se dessinent:
• Un soutien instantané et personnalisé : Les chatbots offrent des réponses immédiates et à la demande à des questions spirituelles personnelles que beaucoup n'oseraient pas poser à leurs propres leaders religieux.
• Un espace "sans risque" et privé : Comme le souligne Krista Rogers, une utilisatrice, il s'agit d'une manière "moins risquée" de poser des questions sensibles, comme le remariage après un divorce, sans la gêne ou le jugement potentiel d'un pasteur.
• Disponibilité 24h/24 et 7j/7 : Contrairement aux prêtres ou rabbins humains, un chatbot est toujours disponible, même "à 3 heures du matin".
• Une source de réconfort : Dans les moments difficiles, ces IA peuvent offrir une aide précieuse. Delphine Collins, une enseignante de 43 ans, a trouvé du réconfort auprès d'un chatbot après une tragédie, recevant des psaumes et des rappels de la puissance divine à guérir. Karen Fugelo s'est également tournée vers Hallow pour se préparer à la fin de vie de sa mère.
Cet élan vers l'IA dans la sphère spirituelle peut aussi être vu comme une tentative de combler le besoin humain universel de soutien cosmique dans les moments difficiles, en offrant des réponses rapides là où la contemplation prendrait une vie.
Les promesses de l'IA au service de la foi
L'intégration de l'IA dans la religion n'est pas uniquement une quête individuelle de réconfort. Des dirigeants spirituels voient dans cette technologie une opportunité de moderniser leur approche. L'Église catholique, par exemple, explore des initiatives visant à enrichir la vie spirituelle, améliorer la communication et renforcer l'engagement communautaire.
Des applications concrètes émergent :
• Aide à la catéchèse et à l'éducation religieuse : Des chatbots peuvent répondre aux questions des fidèles sur la foi, les sacrements et les enseignements de l'Église, démocratisant l'accès aux connaissances religieuses, en particulier pour les jeunes.
• Innovation pastorale : On voit l'apparition d'hologrammes interactifs comme "Deus in machina" en Suisse, d'assistants virtuels dans des chapelles en Pologne, et même de répliques numériques de la basilique Saint-Pierre au Vatican pour des visites virtuelles.
• Sermons et textes sacrés : Des pasteurs utilisent ChatGPT pour écrire des sermons, et des outils comme Hadith GPT permettent de trouver des hadiths précis avec leurs interprétations.
• Augmentation humaine : L'IA est perçue comme un moyen "d'augmenter l'être humain", une technologie qui nous permet d'aller au-delà de nos capacités actuelles.
Pour certains leaders religieux, comme le rabbin Jonathan Romain, ces applications sont une "porte d'entrée vers la foi" pour les nouvelles générations qui n'ont jamais fréquenté une église ou une synagogue. Il les considère comme un complément, et non un remplacement, des communautés religieuses traditionnelles.
Les défis éthiques et les "ombres" de l'aumônier IA
Malgré ses avantages, l'intrusion de l'IA dans la spiritualité n'est pas sans soulever de profondes inquiétudes. L'Église catholique considère l'IA comme un "défi éthique majeur".
Les principales préoccupations incluent :
• Le "fac-similé" et l'illusion d'omniscience : Bien que les chatbots puissent sembler "omniscientes", elles ne sont qu'un "fac-similé". Elles s'appuient sur la sagesse agrégée d'internet et sont incapables de cultiver leur propre compréhension ou conscience spirituelle. Les réponses rapides qu'elles fournissent contrastent avec la nature profonde et souvent lente de la foi, qui requiert une vie de contemplation.
• La perte de connexion humaine : Le Père Mike Schmitz s'inquiète du fait que les chatbots suppriment l'élément humain essentiel de "lutter avec un problème" en en parlant à une personne. Des rabbins soulignent que leur rôle est de "répondre aux douleurs humaines, pas de les automatiser".
• Confidentialité des données : Verser son cœur à un chatbot soulève des questions sur la confidentialité et l'accessibilité des données personnelles.
• Les "hallucinations" de l'IA : L'IA n'est pas infaillible et a la "fâcheuse habitude d'inventer des informations". Cela peut être problématique si, par exemple, elle fournit une citation biblique qui n'existe pas.
• Dérives psychologiques et spirituelles : Des individus, en quête de sens, peuvent développer une relation "fusionnelle" avec l'IA, croyant qu'elle leur révèle des "vérités universelles" ou qu'elle est une "entité spirituelle éveillée". Cette "co-création de sens" peut amplifier les fantasmes et mener à un isolement social et des "croyances délirantes".
• La menace transhumaniste : L'IA, couplée aux avancées en biotechnologies, pourrait "redéfinir l'humanité elle-même", certains courants transhumanistes rêvant de dépasser l'homme par la machine, niant ainsi "l'unicité de l'être humain créé à l'image de Dieu".
La vigilance de l'Église : Un appel à l'éthique et à la primauté de l'humain
Face à ces bouleversements, le Vatican a exprimé une réflexion éthique approfondie. Le document Antiqua et Nova, publié par le Saint-Siège, insiste sur l'importance de la responsabilité éthique et la nécessité d'une régulation centrée sur la dignité humaine.
Selon Mgr Carlo Maria Polvani, ces changements sont comparables à la révolution industrielle, et l'IA doit rester un "instrument au service de l’homme, et non l’inverse". L'Église prône une approche équilibrée, reconnaissant les bénéfices tout en alertant sur les dangers. Elle souligne que l'IA ne doit pas se substituer à la décision humaine dans des domaines cruciaux et que les décisions critiques doivent impliquer un discernement éthique et moral, guidé par l'intelligence humaine.
Les évêques de France se disent ouverts à l'étude et à l'expérimentation de l'IA générative pour la mission pastorale, mais le message est clair : l'IA ne doit "ni remplacer Dieu ni dénaturer l'humanité". La centralité de la personne humaine et la protection des plus vulnérables restent primordiales.
L'Église rappelle que, si l'innovation technologique peut soutenir sa mission, elle ne pourra jamais remplacer la prière, l'adoration et l'engagement personnel dans la foi. La mission première de l'Église est de "sauver les âmes" et d'attirer l'humanité vers Dieu, un objectif que l'IA, aussi avancée soit-elle, ne peut combler.
Conclusion : L'équilibre entre technologie et transcendance
L'avènement des "aumôniers IA" est une réalité qui nous pousse à repenser notre rapport à la foi et à la technologie. Il y a un paradoxe inhérent : l'IA peut offrir des réponses instantanées à des questions qui, par essence, exigent souvent une vie de contemplation.
Alors que les entreprises technologiques accélèrent le mouvement, ciblant désormais diverses traditions religieuses au-delà du christianisme et du judaïsme, il est impératif de maintenir un dialogue ouvert et inclusif. L'IA peut être un formidable outil pour démocratiser l'accès à la connaissance religieuse et offrir un soutien personnalisé. Cependant, elle ne peut se substituer à l'expérience humaine de la foi, à la relation personnelle avec les leaders religieux, ni à la quête spirituelle qui nourrit l'âme.
Le défi pour l'ère de l'IA sera de naviguer entre l'opportunité d'une "augmentation de l'être humain" et la nécessité de préserver l'essence de la foi, en s'assurant que l'outil reste au service de l'homme, guidé par l'éthique et la primauté de la dignité humaine.
Sources bibliographiques :
* "AI and religion : The Rise of A.I. Chaplains" (Extraits de "Chapel de l'IA : La Foi à l'Ère Numérique")
* "Chatting with God?" par Lauren Jackson
* "Comment l'intelligence artificielle est devenue un défi éthique majeur pour l'Église"
* "Intelligence artificielle et pratiques spirituelles - UNADFI"
* "L'intelligence artificielle s'invite dans la religion - Journal Le Placoteux"
* "La religion à l'ère numérique : Avantages et défis de l'intelligence artificielle - El watan"
* "Quand l'IA devient prophète : dérives spirituelles à l'ère de ChatGPT - Mon Carnet"
* "Quand l'IA rencontre la foi chrétienne : trois éléments à retenir du colloque pour l'Église catholique"
© 2025 - Communauté Ech@nj, tous droits réservés.
Vous êtes intimidé par l'IA et tous les changements qui s'annoncent, rejoignez notre chaîne WhatsApp "IA Pratique et Opportunités". L'IA vous sera expliquée en langage simple et vous y découvrirez de nombreuses publications autour de son application pratique dans la vie de tous les jours. Rejoignez la chaîne.



